SCULPTURES & ECRITURES BUISSONNIERES
L'Immaculée Conception
Chapitre 17 Aux Tremblettes
Immaculée Conception
Chapitre 17
Dans le salon des Tremblettes, la conversation sur la sourdine des chansons de Susheela Raman faisait oublier le grondement du ruisseau dehors, le ruissellement de la pluie, les bourrasques de vent. Un petit groupe humain, à la fois, ordinaire et pas ordinaire. En tout cas, comme un microcosme de douceur et chaleur. Sur la table basse, les ingrédients d’un long apéritif : des bouteilles, chacun son verre, des assiettes de saucissons, de chips, de petites sauces. Dans la cuisine, ça mijote, ça dore, ça chambre, ça sent bon. Dans l’arrière-cuisine, les vins blancs, le champagne et les entrées restent bien au frais. On fait attention à ce que Follette, la petite femelle Yorkshire, et les trois chats de la maison n’y rentrent pas.
Les manteaux de Dominique et de Mohamed ont été déposés sur un fauteuil de l’entrée. Elisabeth a déjà installé ses affaires dans sa petite chambre, Jim et Alain se sont contentés de déposer leurs bagages dans la leur. Il est prévu que Dominique et Mohammed puissent aussi dormir là, dans la petite chambre jaune. Si nécessaire. Les cadeaux ont tous été déposés à côté du sapin. Marie joue à la maîtresse de maison. Elle meuble les blancs, les invités ne se connaissent pas bien encore. Joseph aussi essaie de les mettre à l’aise. Il surveille le feu de bois dans la cheminée. Après avoir pris l’avis des uns et des autres, Marie décide qu’on ouvrira les cadeaux sans attendre minuit, et que tout compte fait, il vaut même mieux le faire tout de suite en ce début d’apéritif. Ce sont des bruits de papier qu’on déchire, des sourires, des exclamations, des bisous de remerciements. Chacun a sa pile de CD, de livres, de petits objets, de bouteilles. Joseph ramasse les papiers, les rubans, il en fait un tas qu’il place dans le panier à bois : il les brûlera tout à l’heure. L’agitation retombe, chacun s’est retrouvé une place, tandis que Joseph verse les apéritifs. Alain demande si c’est tout le monde est OK pour qu’il mette l’un de ses nouveaux CD, le Pas du Chat noir, d’Anouar Brahem. Une musique un peu étrange, où se mélangent le piano, l’accordéon et l’oud. Marie explique qu’elle était sûre que ça plairait à Alain. Elle avait entendu un morceau par hasard à la FNAC d’Annecy. Mohamed explique ce que c’est qu’un oud.
Vous savez l’oud est une sorte d’ancien luth arabe. Personnellement, je trouve que le mariage entre les trois instruments est très beau : il est peu à l’image de notre groupe ce soir. Moi, j’aime l’éclectique, c’est une réalité biologique et culturelle qu’utilise l’humanité pour vivre et survivre.
Te voilà bien sentencieux, Mohamed, c’est moi le professeur !
Mohamed et Dominique, côte à côte dans le grand canapé vert, se sourient. Dominique saisit la main de son compagnon et l’embrasse dans la paume.
J’aime bien cette idée de l’éclectisme comme chemin de survie pour notre humanité, déclare Elisabeth. Joseph et Alain sont les seuls autochtones, non ? Et la Savoie n’est française que depuis moins de deux cents ans. Marie est le résultat d’un mélange harmonieux (si, si, tu es très en beauté, ce soir, ma chérie !) entre des sangs flamands et wallons. Mon père est serbe, ma mère croate, je me considère comme française, je vis et je travaille en Suisse et le père de mon fils était italien.
Ma famille est lyonnaise et bourguignonne depuis la nuit des temps, ajoute Dominique, mais c’est le bonheur pour moi de vivre avec Mohamed. D’abord, parce que c’est lui, pour ce qu’il est en tant qu’homme, en tant que personne, mais aussi parce qu’il m’a fait découvrir l’Algérie, la musique arabe, le raï. J’ai appris à préparer et à aimer le couscous, les tagines, le Tlemcen et il aime le bœuf bourguignon et le beaujolais !
Puisque chacun en est à dire ses origines, oyez, oyez, gens de belle France, moi, je suis un juif new-yorkais. Woody Allen, c’est mon cousin ! Je vis à Paris avec un savoyard, français depuis peu, si j’ai bien compris, et que j’ai rencontré à Jérusalem ! Raconte-leur, Alan !
Tu veux que je raconte quoi ?
Non, pas l’intimité de nos débuts, chéri, seulement notre rencontre, pour illustrer l’éclectisme de Mohamed !
Ah, je préfère. Eh bien, c’était effectivement à Jérusalem. Je participais à un séminaire pour mon job, un séminaire de psychologie cognitive, s’il vous plait, dans un centre universitaire entre Tel Aviv et Jérusalem. Jim lui était en vacances chez un de ses oncles. Cet après-midi-là, nous n’avions pas de conférence. J’avais décidé de faire du tourisme à Jérusalem. Je me souviens d’une petite rue au soleil : à quelques mètres d’intervalle, la puanteur de détritus de viande surchauffés, à même les dalles du sol, et le parfum suave d’un jasmin croulant par-dessus un mur de pierres blanches, vibrantes de chaleur. Je suis descendu le long d’un dédale de ruelles et d’escaliers jusqu’au mur des Lamentations. Ensuite, je me suis dirigé vers le quartier arabe. Un moment, j’ai entendu du bruit derrière moi. C’était un jeune palestinien qui fuyait devant deux policiers israéliens. Ils l’ont rattrapé à une vingtaine de mètres devant moi. Quand je suis arrivé, les flics étaient en train de tabasser le jeune arabe dans l’encoignure d’une vieille porte cochère, couverte d’inscriptions en arabe. Autour d’eux s’étaient rassemblés une dizaine de marchands arabes, âgés, silencieux. On n’entendait que les paroles de haine des policiers et le bruit des coups qu’ils portaient au jeune palestinien, qui restait silencieux, se protégeant comme il le pouvait. J’ai continué mon chemin, lourd du bruit et du silence, lourd de ma honte à m’esquiver. Dans le souk, beaucoup d’étals étaient fermés. Un moment, j’ai eu les larmes aux yeux, c’était comme un reste de gaz lacrymogène par-dessus l’odeur des épices. Après je suis arrivé à proximité du Saint Sépulcre, dans la lumière finissante du jour. Alors que je m’approchais, j’ai entendu à peine plus loin l’appel du muezzin et mon regard a croisé celui de Jim. C’était comme irréel. Quand je suis entré dans la basilique, Jim m’a suivi. Je me suis dirigé vers la file qui attendait devant l’entrée du tombeau du Christ, à l’intérieur de la basilique sombre. Quand cela a été mon tour de descendre, Jim sur mes talons, j’ai du donner de l’argent à un pope, de garde, qui avait à la main un gros portefeuille de cuir plein de billets de banque, et j’ai vu l’or tout autour de moi, des murs d’or au tombeau du Christ. Alors, je me suis senti très mal, j’avais encore les larmes aux yeux. Je me suis enfui du tombeau, Jim toujours à mes talons. Dans la rue, Jim m’a serré sur son cœur. C’est comme ça que notre histoire a commencé.
C’est beau, cette histoire, dit Elisabeth. Je vois bien le rapport que vous faîtes avec l’éclectisme des monothéismes : chrétiens, juifs, musulmans. Cependant, pardonnez à la femme ignare que je suis, mais l’homosexualité, ce que vous vivez, Jim et Alain, Dominique et Mohamed, est-ce que ce n’est pas le contre exemple absolu de l’éclectisme, puisque vous recherchez votre semblable dans la relation d’amour ? L’hétérosexualité n’est-elle pas fondamentalement plus éclectique ? Excusez-moi, je suis un peu confuse, je risque de vous apparaître comme désobligeante. Ne voyez pas dans mes propos une critique de ce que vous vivez chacun. Non, en fait, à vous voir, je me rends compte que je ne comprends vraiment pas votre choix…
Tu veux dire que cela te paraît comme une pratique sociale et sexuelle d’endogamie radicale, lui demande Dominique ?
Une pratique sociale et sexuelle d’endogamie radicale ? Hou là là, attends, laisse-moi réfléchir à ce que tu me dis, Herr Doktor ! Eh bien, oui, oui, c’est cela. C’est comme si vous refusiez l’altérité, puisque vous choisissez votre pareil. C’est d’ailleurs pour cela que votre amour, celui entre deux hommes, celui entre deux femmes, ne peut être fécond, qu’il ne peut permettre à l’espèce de survivre et de se développer.
A peine a-t-elle prononcé ses mots que Elisabeth les regrette, pour Joseph et Marie. Elle voudrait les reprendre ces mots, mais ils sont là entre eux. Joseph et Marie ne disent rien. Alain et Jim, qui connaissent bien aussi le problème, de l’intérieur, en famille, se taisent aussi.
C’est Mohamed qui reprend le fil de la conversation.
D’abord, Elisabeth, ce n’est pas un choix que l’homosexualité. Elle s’impose, qu’on le veuille ou non. Certains disent que c’est un problème de génétique, d’autres que c’est d’ordre psychique. Personnellement, je m’en fous. Peut-être qu’on trouvera un gène de l’homosexualité dans les recherches sur le génome humain. Il ne me semble pas avoir eu de problèmes particuliers avec mon père, avec ma mère, dans ma petite enfance. D’ailleurs, j’ai deux frères qui sont hétéros et des exemples vivants du machisme maghrébin. Ce que je sais, c’est que j’ai lutté contre moi, contre mes désirs, quand j’étais adolescent, parce que dans mon milieu, dans le quartier où nous habitions, c’était une tare d’être un pédé, une tantouze, d’aimer les hommes. J’ai mis du temps à comprendre qu’être gay, cela ne voulait pas dire, se conduire comme une femme. Je ne parle pas des transsexuels, bien sûr. Non, moi, je suis un homme, plutôt fier de mon appartenance au sexe masculin : je suis et je me sens autant féminin que l’hétéro de base ! Je n’ai pas le sentiment de m’appauvrir dans ma relation avec Dominique, avec un homme, parce que je suis un homme. Non, Dominique est radicalement différent de moi et j’aime qu’il soit différent de moi, dans son corps de français de souche, son intelligence et son cœur, qui jouent avec les mots, alors que moi, je suis un beur, qui aime jouer avec les couleurs, les formes, les volumes. L’altérité est bien plus que la différence ou la ressemblance entre les sexes, non ?
Moi, j’ai vécu avec une femme pendant vingt ans, nous avons eu trois enfants, et pourtant maintenant je vis avec Mohamed et…
Tu as donc fait un choix, l’interrompt Marie !
Oui et non. En fait, très profondément, depuis ma toute petite enfance, je savais que j’étais homo. Je rêvais de garçons quand je m’endormais. Mais je ne pouvais pas en parler. Il n’y a que depuis Mitterrand que l’homosexualité n’est plus un crime en France. Lorsqu’à vingt ans, j’ai décidé de vivre avec Claudine, la mère de mes enfants, je l’aimais, je voulais vivre avec elle. Je croyais que je pouvais me guérir de mon homosexualité. Et j’ai bien fait mes enfants par amour. J’ai eu la chance d’assister à chacune de leur naissance et c’est les plus beaux moments de ma vie. Mais les années passaient, et j’ai trompé Claudine avec des mecs, des aventures à la sauvette, rapides, ignobles. J’étais comme écartelé. D’autant plus que je lui en avais parlé à Claudine de ce que je vivais et de mon mal-être fondamental.
Marie s’est levée pendant les paroles de Dominique, elle va dans la cuisine, comme oppressée par la conversation. Joseph se demande s’il doit la rejoindre. Il se sent comme abattu. Il se contente de remplir les verres, pendant que Dominique continue.
C’était terrible cette coupure entre deux vies : une vie d’hétéro au grand jour, valorisée par la société, une vie d’homo dans l’obscurité, le secret et la honte. C’est avec Mohamed que j’ai découvert que je pouvais vivre autrement et vivre bien ce que j’étais profondément, sans honte. Je me sens mieux avec Mohamed qu’avec Claudine, même dans nos meilleurs moments. Et j’ai vraiment l’impression, non, la certitude, qu’il est radicalement différent de moi. D’ailleurs, tu sais bien, que le risque de quelques vieux couples, qu’ils soient hétéros ou gays, c’est quand les deux commencent à se ressembler comme un frère et une sœur, ou comme deux frères. Pour moi, l’altérité, ce n’est pas une question de sexualité, quelle qu’elle soit, non, je pense que c’est plus une question de regard sur la vie et du désir de l’autre qui se renouvelle ou pas.
Jim finit son bourbon, se lève de son fauteuil, s’approche de la bouteille et se ressert un verre. Il profite que les regards se posent sur lui debout pour prendre la parole.
En fait, je crois que c’est plus compliqué et plus simple que cela. L’autre, quel qu’il soit, même s’il me ressemble, est toujours radicalement autre, différent de ce que je suis. La question est : la somme de ce que tu me montres de toi, est-ce aimable pour moi ? J’ai connu des mecs, des blancs, des blacks, des beurs, avec qui j’ai pris un pied pas possible au lit et que j’ai virés, parfois en douceur, parfois manu militari, d’autres fois, avec indifférence, le lendemain matin ou une semaine après, quand les choses qu’ils me disaient d’eux au bout du compte ne me plaisaient pas du tout, ou bien m’emmerdaient, ou me mettaient en colère.
Mohamed sourit aux propos de Jim :
Tu crois vraiment que c’est ainsi que cela se passe, Jim ? Que tu rencontres des gens comme ça par hasard et que tu décides après coup de ce qu’il advient de la relation ? Moi, je crois plutôt qu’au moment où on commence quelque chose, on sait déjà, comme ça, globalement, intuitivement, ce qui va arriver. Si tu vires quelqu’un avec pertes et fracas, ou avec indifférence, si tu restes avec quelqu’un pour faire un bout de chemin, c’est que c’est ce que tu veux profondément, même si tu ne le sais pas. Il n’y a pas de hasard vraiment.
C’est marrant, ce que tu dis là, Mohamed, dit Alain. Ca me fait penser aux théories de Groddeck. Tout ce qui t’arrive, quelque part, tu l’as recherché…
Groddeck ?
Marie sort de la cuisine :
A table, tout le monde. Il ne faut pas faire attendre les huîtres et les fruits de mer. Joseph, tu t’occupes du vin blanc. Il est au frais dans l’arrière-cuisine. Vous vous placez comme vous le sentez, les amis. Il n’y a pas de place déterminée.
Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas alterner un homme, une femme, ce soir !
Joseph se retrouve en bout de table, en situation de patriarche. Marie et Elisabeth se sont face à ses côtés. Mohamed et Jim sont du côté d’Elisabeth, Alain et Dominique leur font face.
Deux grands plateaux d’huîtres et de fruits de mer occupent le centre de la table.
Cela fait des lustres que je n’en ai pas mangé, s’exclame Dominique. Ca me rappelle un ami. Léo. Il vit avec son copain Jean Loup, sur les hauteurs de Viuz, juste de l’autre côté par rapport à Saint-André. Jean Loup travaille à Annecy, dans une agence immobilière. Léo lui travaille à Avignon, il est consultant pour une boite informatique qui l’envoie souvent ailleurs en province et parfois à l’étranger. Cela fait des années qu’il fait la route entre la Haute-Savoie et Avignon toutes les semaines, il a pris un studio à Avignon. Comme Jean Loup est assez jaloux, Léo a pris l’habitude de lui cacher, enfin de ne pas lui dire, un certain nombre de choses. Sur Avignon, cela fait quatre ans qu’il rencontre un consultant en management, Pierre. Au début, je suppose qu’il y a eu quelque chose de sexuel, assez fort entre eux. Bien évidemment, Jean Loup n’en a rien su. Et puis, assez rapidement, ils ont continué de se voir de temps à autre, une fois par quinzaine environ, et à s’appeler sauf le week-end. Ce qui est bizarre, c’est qu’ils vont à chaque fois dans le même restaurant, un bar à huîtres, dans la vieille ville. Et à chaque fois, ils commandent des huîtres et des fruits de mer, sans vin blanc, mais avec un petit Côte du Rhône bien frais. Le repas terminé, tantôt ils vont dormir chez Léo, tantôt ils vont chez Pierre. Léo me dit qu’ils ne font pas l’amour, c’est lui qui masse et caresse Pierre avant de s’endormir à ses côtés. Léo m’a raconté que même au début de leur relation, les quelques fois, où ils faisaient l’amour, Pierre était d’une passivité extrême, ne prenant aucune initiative, recevant sans donner. Un soir, au bar à huîtres, Pierre a déclaré à Léo que lui, Léo, n’était pas, je cite, dans son référentiel sexuel, qu’il l’aimait bien, mais qu’il n’avait pas envie de lui faire l’amour. L’étonnant, c’est que Léo, qui n’est pas particulièrement patient, ni fidèle, n’a pratiquement plus d’autres aventures et qu’il accepté de poursuivre ainsi. Quant à Jean Loup, il ne sait toujours rien. L’un et l’autre, Pierre et Léo, ont essayé à plusieurs reprises d’arrêter, et cela a toujours repris entre eux et dans les mêmes conditions. Pendant les congés d’été, c’est Léo qui appelle Pierre ; Pierre se contente parfois d’envoyer un texto. Il y a deux ans en août, le téléphone mobile de Pierre a subitement cessé de fonctionner. Léo était très inquiet. Il avait laissé plusieurs messages sur le répondeur de Pierre à Avignon et envisageait de se rendre dans un petit village d’arrière-pays dans le Haut-Var. Pierre y a sa maison de vacances. Au bout de trois semaines, alors que Léo reprenait le travail à Avignon, Pierre lui a téléphoné comme si rien n’était. Ils ont repris leurs habitudes de téléphone, de repas d’huîtres et de fruits de mer, de chastes nuits partagées. Plus étonnant encore, en février dernier, Pierre est venu passer quelques jours à Annecy alors que Léo était en-dehors de la Haute-Savoie. Il s’est arrangé pour rencontrer Jean Loup dans son agence, en prétextant rechercher une maison dans le coin. Apparemment, il a bien joué son jeu, puisque Jean Loup l’a invité au restaurant le midi sur les bords du Lac. Tenez-vous bien, Léo avait raconté à Pierre que la clé de l’entrée de la cuisine, dans leur maison de Viuz, était cachée dans un pot de fleurs, et le Pierre est venu en cachette une après-midi chez eux pour visiter le lieu de vie, à Léo et à Jean Loup. Il a pris des photos qu’il a montrées à Léo la semaine suivante lorsqu’ils se sont vus au bar à huîtres. Quant à Jean Loup, il ne sait toujours rien. C’est étonnant, non ?
C’est quoi, cette histoire ? C’est malsain ! Non, tu viens de l’inventer !
Mohamed, dis-leur toi que c’est vrai !
Je ne peux pas dire que c’est vrai, Domi ! Je peux simplement dire que ton Léo t’appelle régulièrement, que tu le vois de temps en temps et que tu me tiens au courant de cette histoire au fur et à mesure.
C’est quand même incroyable !
Moi, je ne trouve pas cela malsain, dit Jim. C’est quand même une histoire d’amour, enfin je veux dire, deux histoires d’amour en parallèle.
Mais comment cela peut-il finir, demande Alain ? Jean Loup va bien un jour découvrir le pot aux roses !
Pourquoi le découvrirait-il si l’autre ne lui dit rien : il faudrait que le Pierre vende la mèche.
Moi, ce qui m’intrigue, c’est cette histoire de référentiel. Peut-être qu’il a le sida ou quelque chose comme cela, ce Pierre.
Non, Léo y a bien pensé. D’abord lui-même passait des analyses régulièrement du temps de sa vie de vagabondage. Il est séronégatif. Pierre lui a dit qu’il était séronégatif aussi.
Tout compte fait, Dominique, ton histoire n’est jamais qu’une petite cachotterie qui dure plus longtemps que prévu, dit Marie d’une voix un peu haut perchée. On a tous nos zones d’ombre épaisse et qui durent pour l’autre, pour celui avec qui on vit, non ?
Il y a des choses que tu me caches, ma chérie, lui demande alors Joseph, mi-figue, mi-raisin ?
Bien sûr, comme tout le monde, mon curieux ! Tu t’occupes du vin rouge ? Moi, je dessers. Non, non, Elisabeth, non, Mohamed, j’en ai pour une minute, ne bougez pas. Alain, tu remets de la musique, tu veux bien ?
Les Tremblettes étaient alors comme une petite bulle tiède, confortable au corps, au cœur et à l’âme dans un univers de pluie et de vent, au sein de la nuit noire. Le ronronnement et les bâillements d’aise de Follette et des chats repus, lovés sur les coussins dans le salon, chacun dans leurs rêves, qui parfois les faisaient gémir, étaient comme la métaphore des sentiments humains.