SCULPTURES & ECRITURES BUISSONNIERES
L'Immaculée Conception
Chapitre 5 Jim
Chapitre 5
Jim
Jim s’éveille en sueur. A ses côtés, Alain continue de dormir tout paisible, Jim le sent à sa respiration. Il vient de faire un horrible cauchemar. Il était à Jérusalem, sur le Golgotha, crucifié. Le sang qui coule de ses plaies est recueilli dans une coupe sertie de rubis. Une multitude de frères est au pied de sa croix, ils communient en buvant son sang à même la coupe. Jim crie, s’épuise à crier, malgré la douleur à ses poignets et à ses chevilles, malgré le trou béant à son torse. Il crie qu’ils ne doivent pas boire son sang, son sang contaminé.
Jim allume la lampe à son chevet, il surveille Alain, qui se retourne de son côté, presque en position fœtale. Jim le recouvre tendrement pour qu’il ne prenne pas froid. Dehors, il entend une pluie battante qui noie Paris. Il se lève et va dans la cuisine. Il boit un grand verre d’eau, comme pour se purifier, se libérer de son cauchemar. Puis il va dans le salon. Il se sert un verre de bourbon et retrouve au fond d’un tiroir un vieux paquet de Marlboros, pour les amis fumeurs de passage. Cela fait plus de cinq ans qu’il a arrêté de fumer. C’est bon la fumée qui pénètre dans sa gorge et ses fosses nasales, bon comme la mort qu’on inhale. Il se met un CD de vieilles chansons juives orientales qu’il écoute sur le casque pour ne pas réveiller Alain. Il est installé dans le fauteuil rouge. Il observe sa collection de reproductions de Saint Sébastien sur le mur qui fait face à la baie vitrée. Il a utilisé du verre sans reflet à cause de la lumière de la baie vitrée qui cassait les formes et les couleurs des reproductions. Son préféré, celui de Mantegna, au musée du Louvre. Le plus insolite, un Sébastien au sexe nu, avec le torse en maillot de marin et une calotte avec pompon, une photo arrangée de Pierre et Gilles. Sa cigarette est finie depuis longtemps lorsque le disque arrive à sa fin. La plus curieuse, une photographie de lui-même en Sébastien, de Mantegna, celui de la National Gallery. Il enlève le casque, éteint la chaîne, entrouvre quelques instants la baie vitrée pour changer l’air de la pièce. Il aperçoit derrière les deux immeubles de l’autre côté de la rue, les voies ferrées de Montparnasse. A cet instant précis, il a le sentiment d’être vraiment un américain à Paris, un étranger, même s’il y vit depuis plusieurs années. Il nettoie à l’évier de la cuisine son verre et le cendrier, qu’il a vidé des cendres et du mégot froids dans un sopalin, jeté à la poubelle. Il range son verre, le cendrier. Il remet le paquet de cigarettes au fond du tiroir, referme la baie vitrée. Il passe par la salle de bain pour se brosser les dents. Il s’observe sans aménité dans le grand miroir. Il prend la pose. Il cligne des yeux. Il tente de se voir avec les yeux d’Alain, avec les yeux des autres, en Saint Sébastien. C’est vraiment son truc, Saint Sébastien. Il se souvient de la soirée de vernissage dans une galerie d’art homo au Village. Des grands tableaux détournés d’hommes dénudés, remis en scène. Pour chaque photographie, James Spencer, l’artiste qui avait vendu le concept à la galerie, avait choisi un tableau, reconstitué le décor du tableau, choisi un modèle masculin, le plus souvent, dans les microcosmes gays du Village. James Spencer, l’un de ses amants d’avant Alain, mort depuis trois ans du sida. Il y avait un jeune homme au bord de la mer, une lamentation d’Orphée, une douleur d’Orphée, un Narcisse au miroir, un David, plusieurs Christ. James avait proposé à Jim de poser pour Sébastien. Jim rouvre grands les yeux. OK, ça va pour un mec séropo de quarante ans. Pas trop de gras, du muscle quand même. Quarante ans, et bientôt une nouvelle année, encore une année. Allez, you must go to bed, my boy. Je vous embrasse, mes chéris, les Sébastiens, et toi aussi, James’o mio. Je n’oublie pas l’odeur de ton sexe et de ta sueur quand nous faisions l’amour. Je m’en vais retrouver mon petit amore mio, tout endormi.
Il rejoint la chambre. Il se glisse sous la couette. Il sent la chaleur diffuse et l’odeur de foin au soleil d’Alain. Il éteint la lampe de chevet et se met en chien de fusil, pour épouser le corps d’Alain. Il s’endort enfin, pacifié.