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SCULPTURES & ECRITURES BUISSONNIERES

La pureté est le pouvoir de contempler la souillure (S Weil) 

Le Dormeur

Marin

Les marins, comme les maris, rentrent toujours trop tôt ou trop tard, c'est bien connu. Celui dont je veux vous parler était une espèce de géant, descendant d'un viking oublié en terre de Flandre. Il était le mari d'une estonienne, Annika, la douce, blanche de peau et blonde. Il aimait l'odeur de son corps, plus exotique que les poivres et les épices des ports lointains. Il aimait les enfants qu'il lui avait faits. Lorsqu'il était au large, ses amours résonnaient en lui comme autant de violons langoureux.

Il l'aimait : par une nuit de grande douceur, elle lui avait murmuré à l'oreille qu'il était son homme aux yeux d'enfance. Au-delà de son visage buriné par les pluies et les vents, elle apercevait le long enfant errant sous le ciel des grisailles.

Le marin avait aussi un ami, qui vivait dans les marais, près des landes et des bois. Lui, l'homme du large, des vastes étendues d'eau bruissante, mue par les vents et la lune, il s'était lié d'amitié, un soir d'équinoxe, dans un cabaret enfumé et criard, avec un être des marécages, un homme changeant comme le temps d'ici, pluies et neiges mêlées, soleil mouillé d'averses, un homme d'eaux stagnantes plus dangereuses que les marées, un homme d'eaux dormantes et de tourbières.

L'ami dormait lorsqu'il est rentré : il dormait dans le lit de l’estonienne. Le marin était rentré plus tôt qu'il ne l'avait annoncé. Dans la maison, il avait surpris l'amante et l'ami. Sur la table de la cuisine, des mots d'amour d'elle et de lui. Elle avait écrit, d'une écriture fine et serrée, qui semblait exhaler son parfum : " Je t'aime, farfadet des marais, mon homme aux yeux d'enfance".

Il aurait pu les tuer tous deux et assouvir son mal dans leurs sangs mêlés : fleurs rouges, fleurs de mort sur le drap des ébats. Il aurait pu les réveiller et leur dire qu'il était là, qu'il souffrait.


Il a écrit sur une page arrachée à un cahier d'enfant, qu'il a posée à côté des mots d'amour : " J'aurais dû me méfier de l'eau qui dort. J'ai perdu mes yeux d'enfance." Et il s'en est allé.

Annika ne l'a plus jamais revu ; l'ami non plus. Ils ne vivent pas ensemble. Ils se voient de temps en temps. Et ils parlent parfois de lui. Lentement son souvenir s'efface, comme se perd au loin le murmure du ressac, à marée basse, .comme s'estompent les ondes rondes d'un caillou jeté dans une eau mourante,

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